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Université Jean Moulin Lyon 3École doctorale : Droit

Le secret en droit des assurances

Par Camila HABOUBI

Thèse de doctorat en Droit privé

Sous la direction de Luc MAYAUX

Présentée et soutenue publiquement le 13 novembre 2009

Membres du jury :

Sabine ABRAVANEL-JOLLY, Maître de conférences HDR, Université Lyon 3 Luc MAYAUX, Professeur des universités, Université Lyon 3 Anne PELISSIER, Professeur des universités, Université Montpellier 1 Katia SONTAG, Maître de conférences HDR, Université de Nice Liste des principales abréviationsA Arrêté AJ Actualité jurisprudentielle (Recueil Dalloz) AJ pén. Actualité juridique - Droit pénal al. Alinéa anc. Ancien(s)-ancienne(s) anc. C. pén. Ancien Code pénal

Art. Article(s)

Art. L. Article partie législative

Art. R. Article partie réglementaire

Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation

CAA Cour administrative d'appel

C. assur. Code des assurances

C. civ. Code civil

C. com. Code de commerce

C. consom. Code de la consommation

C. déont. méd. Code de déontologie médicale C.E. Arrêt du Conseil d'État (sous-sections) C.E. Ass. Arrêt du Conseil d'État (assemblée du contentieux) CEDH Arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme C.E. Sect. Arrêt du Conseil d'État (section du contentieux) Ch. mixte Arrêt d'une chambre mixte de la Cour de cassation Ch. réun. Arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation

Chron. Chronique

Circ. Circulaire

Civ. Arrêt de la Chambre civile de la Cour de cassation CJCE Arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes

C. mon. et fin. Code monétaire et financier

COB Commission des opérations de bourse (devenue Autorité des marchés financiers) coll. Arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation Com. EDH Avis de la Commission européenne des droits de l'homme comm. Commentaire concl. Conclusions Cons. conc. Décision du Conseil de la concurrence Cons. const. Décision du Conseil constitutionnel Contrats-Concur-Cons. Revue Contrats-Concurrence-Consommation Conv. EDH Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

C. pén. Code pénal

C. pr. pén. Code de procédure pénale

Crim. Arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation

C. route Code de la route

C. santé publ. Code de la santé publique

C. sécu. soc. Code de la sécurité sociale

C. trav. Code du travail

D. Recueil Dalloz

Defrénois Répertoire général du notariat Defrénois DDHC Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

Doc. fr. Documentation française

Dr. et patr. Droit et patrimoine

Dr. fisc. Revue Droit fiscal

Dr. pén. Revue Droit pénal

Dr. soc. Revue Droit social

éd. Éditions

fasc. Fascicule (Juris-Classeur)

Gaz. Pal. Gazette du palais

ibid . Au même endroit infra Plus loin

IR Informations rapides - Recueil Dalloz

J-Class. pén. Juris-Classeur pénal (code) J-Class. pr. pén. Juris-Classeur Procédure pénale J-Class. Resp. civ. et ass. Juris-Classeur Responsabilité civile et assurances

JCN Juris-Classeur Numérique

JCP La Semaine Juridique - Edition Générale JCP éd. A La Semaine Juridique - Edition Administration JCP éd. E La Semaine Juridique - Edition Entreprise JCP éd. N La Semaine Juridique - Edition Notariale JO Journal officiel de la République française JOAN Journal officiel - Assemblée nationale JOCE Journal officiel des Communautés européennes JO déb. Journal officiel (débats parlementaires)

Jurisp. Jurisprudence - Recueil Dalloz

L. Loi

Lég. Législation - Recueil Dalloz

L.G.D.J. Librairie générale de droit et de jurisprudence

L.P.F. Livre des procédures fiscales

n° numéro

N.C.P.C. Nouveau Code de procédure civile

N, num. Numérique

obs . Observations op. cit. Déjà cité(e) ord. Ordonnance ord. réf. Ordonnance de référé p. Page

Petites affiches Les petites affiches

P.U.A.M. Presses universitaires d'Aix-Marseille

P.U.F. Presses universitaires de France

rapp. Rapport RCA Revue Responsabilité civile et assurances RD bancaire et fin. Revue de droit bancaire et financier Rec. CJCE Recueil des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes Recomm. Recommandation du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe Rép. civ. Répertoire Dalloz - (Encyclopédie) - Droit civil

Rép. pén. Répertoire Dalloz - (Encyclopédie) - Droit pénal et de procédure pénale

Rép. trav. Répertoire Dalloz - (Encyclopédie) - Droit du travail Req. Arrêt de la Chambre des requêtes de la Cour de cassation Rev. jurisp. dr. aff. Revue de jurisprudence de droit des affaires Rev. Lamy assur. Revue Lamy du droit des assurances Rev. sc. crim. Revue de science criminelle et de droit pénal comparé RGAT Revue générale des assurances terrestres RGDA Revue générale de droit des assurances RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires

RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil

RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial

S. Recueil Sirey

s. Suivant(e) Soc. Arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation Somm. Sommaires commentés de jurisprudence (Dalloz) sous la dir. Sous la direction de ss. Suivants(es) supra Plus haut

TA Tribunal administratif

TGI Tribunal de grande instance

V. Voir

v° - v is Mot - Mots

Vol. Volume

[Introduction] " Si nos pensées et nos arrières pensées nous étaient réciproquement accessibles, nos formes relationnelles s'écrouleraient : adieu mensonge, non dit, intimité et connivence, mais aussi indiscrétion, confidence, méfiance et authenticité. L'ombre du secret abrite la moitié du monde »1

1. Si le droit tel Saint Thomas a besoin de voir pour croire, comment croire l'homme quand il

peut dire l'inverse de ce qu'il pense et jeter le voile sur la réalité : ce sera son secret. C'est

avec appréhension que l'on envisage le secret, qui par essence ne peut être observé, compris

ou dévoilé sans s'immiscer dans la vie d'autrui. Le secret n'a aucune existence propre, il a

besoin d'un référent, d'un appui qui, pour le faire exister aura besoin de le dissimuler ou de le

révéler. En cela le secret est propre à chacun, et chacun réagit différemment en fonction de

son vécu et de ses attentes, c'est ce qui rend polymorphe le secret, tant il change de forme, de

fonction et d'objet. Il se fait lourd quand il est subi, léger quand il est voulu, dangereux quand

il nous échappe, dramatique ou salvateur quand il est dévoilé.

2. Interroger le secret en droit des assurances nous permet d'appréhender l'étendue de la

complexité des relations nouées entre un assureur et son cocontractant, mais aussi d'envisager le droit commun des contrats sous un angle faisant clairement apparaître, que si le droit peut tout prévoir, il ne peut pas tout savoir.

L'appréhension du secret passe par sa compréhension, il est nécessaire de savoir ce que peut

signifier un secret dans une sphère intime, ou ce qu'il représente au sein d'un groupe de

personnes, car certaines professions sont même assujetties à une véritable culture du secret.

Ce sont ces différents aspects du secret qu'il est nécessaire de maîtriser pour comprendre comment s'articulent les droits et obligations de chacun des acteurs impliqués dans une relation d'assurance lorsqu'ils se trouvent confrontés au secret à leur insu.

3. " Personne ne garde un secret comme un enfant »2. Le secret est de nos jours une notion

omniprésente dans le langage courant, et dont l'utilisation constante rend le mot presque galvaudé tant nous sommes envahis par la culture médiatique du secret. Mais si nous sommes entourés par le secret, nous perdons souvent de vu les enjeux qu'il renferme. Le secret ne peut

1A. Petitat " secret et formes sociales » Paris PUF 1998.

2Victor Hugo, " les misérables »

être compris s'il est perçu sous l'angle trop réducteur de la révélation. Pour le décrire nous

devrions pouvoir l'articuler autour de l'axe voilé-dévoilé, mais cela resterait toujours

insuffisant à appréhender cette notion riche de sens et de sous-entendus en ce qu'il articule le

perceptible et la pensée immatérielle.

4. Son origine même est mystérieuse, d'un point de vue étymologique plusieurs racines lui

sont attribuées, le latiniste3 ne manque pas de rappeler que c'est à partir de " cerno » que va se

construire la thématique de la séparation inhérente au secret4, le préfixe " se » ne faisant

qu'accentuer cette dichotomie. Cette racine implique une notion de séparation au sens de tri et

d'évaluation, nécessitant l'action intellectuelle de juger et trancher. Le secret procède d'un

choix entre ce qui doit être révélé ou non. C'est un acte de séparation maîtrisé de nos

connaissances, et volontairement extériorisé.

Tandis que l'orientaliste reste attaché à la racine du mot indo-européen " Krei »5 Dans sa

signification actuelle, l'expression " passer au crible » implique cette notion de choix

mûrement réfléchi, pour ne garder que l'essentiel, tout en laissant échapper ce qui à nos yeux

représente un intérêt de moindre importance.

Dès lors, même si plusieurs étymologies sont envisageables, le sens premier de séparation et

de sélection volontairement choisie, se retrouve dans le mot " secret » en ce qu'il induit une distinction entre ce qui est connu et ce qui ne l'est pas. Le secret est alors " le tamis de la

psyché »6 en ce qu'il porte sur une connaissance que possède un individu libre de le conserver

ou de le communiquer.

5. Bien plus qu'une notion, le secret est un concept dont l'exégèse7 nécessite de faire appel à

des images, des formulations toutes faites, et des paraphrases bien ancrées dans le langage commun pour en comprendre le sens. Force est de constater qu'il suffit de rechercher dans un dictionnaire la définition du mot secret pour s'apercevoir que seule une simple phrase, somme

toute très vague, le caractérise avant de reporter le lecteur à la très longue liste des synonymes

qui s'y rattache, libre à lui de retrouver le sens le plus adapté à sa recherche. Rien n'est simple

3 Le mot " secret » vient de " secretum » pour le substantif, de " secretus » pour l'adjectif, et de " secerno » pour

le verbe qui signifie séparer, mettre à l'écart.

4 Qui est à l'origine du mot " discernement », une qualité de l'esprit qui perçoit les différences permettant de

distinguer par exemple le vrai du faux, et le bien du mal...

5 Dont le sens de séparer se retrouve dans la famille du mot " crible » qui est à l'origine un tamis permettant de

séparer le son du blé. V. J-P. Royer, lever de rideau : le secret, quel secret ?, introduction au colloque

international " secret et justice, le secret entre éthique et technique ».

6 Y. Coinçon, Colloque " les enjeux du secret dans la prise en charge des enfants victimes » Psychothérapies

vol. XXII n°3 p.153

7 Pour les premières études de définition du secret, voir Nicot, " Thresor de la langue française » éd. 1606 p.

586 et J- F. Féraud " Dictionnaire de la langue française » (Marseille, Mossy) éd. 1787-1788 p. C539a.

avec le secret et cette difficulté d'appréhension se vérifie à la seule lecture des premières

encyclopédies qui semblent le simplifier à l'extrême.8 Le secret étant réduit jusqu'en 18329 à

une simple " chose cachée »10.

6. Dans sa version moderne, le secret n'est plus une chose mais " une information ou un

savoir qui se trouve soit caché soit inaccessible » et la liste des expressions et synonymes qui

le définisse, s'organise autour de plusieurs thèmes démontrant à la fois l'aspect technique et

fonctionnel du secret11, mais aussi son implication métaphysique quand il entoure le savoir et la connaissance d'une aura mystérieuse ou irrationnelle12.

7. La quête d'un secret personnel et préservé nous mène invariablement en terre inconnue,

que ce soit l'âme, l'inconscient, ou le coeur, c'est toujours au plus profond de la personne humaine qu'il trouve refuge; qu'il s'agisse de le protéger ou de l'oublier, la démarche est

identique : il est mis hors de portée des autres. Une suspicion tenace reste attachée au secret, il

est nimbé d'une aura de mystère qui le rend sombre et lourd. Pourtant il est des " jardins secrets » légers et agréables cultivés comme un " violon

d'Ingres ». Mais tant qu'il n'est pas dévoilé il représente une chape de plomb difficile à

8 Dès 1694, le secret s'il est un substantif, est " une chose qui ne doit pas estre révélée, qui doit estre tenuë

secrette », suit toute une liste permettant de le situer dans un champ lexical approprié " Grand secret, secret

d'estat, le secret d'un amy, le secret des consciences, sous le secret de la confession, je ne diray mon secret à

personne, garder le secret, confier son secret à quelqu'un, descouvrir, révéler le secret, manquer au secret,

trahir le secret, publier le secret, deviner un secret, pénétrer dans les secrets de quelqu'un » dictionnaire de

l'Académie française, 1st édition 1694, p. 452.

9 Cette version comprend une variante permet tant de déceler les nouvelles préoccupations que peut susciter le

secret au sein de la société qui est désormais défini comme " ce qui doit être tenu secret, ce qu'il ne faut dire à

personne, ... ce que l'on dérobe aux autres». Le secret n'est plus envisagé de manière abstraite, mais de manière

personnelle, presque morale, ce que laissent deviner les nouvelles citations stylistiques laissant principalement

imprimer la crainte de la violation du secret par un tiers Les expressions principalement utilisées sont " ...

Promettez moi le secret, il a manqué au secret, il n'a pas observé le secret, je vous garderai le secret le plus

inviolable, les affaires ont été traitées dans le plus grand secret, ce dessein était couvert d'un secret

impénétrable... » marquant une sacralisation du secret " ... laisser échapper son secret, rien ne lui pèse tant

qu'un secret, le secret est entre trois ou quatre personnes, il est le dépositaire de mes secrets, je ne veux pas

vous arracher, vous surprendre votre secret, ce secret commence à transpirer, il m'a fait un secret de cette

affaire, participer aux secrets de quelqu'un... Dieu connaît nos plus secrètes pensées, un sentiment secret, une

douleur secrète...» in Dictionnaire de l'Académie française, 6th édition 1832-5, p. 2 :720.

10S'il est un adjectif le secret est " caché, qui n'est connu que d'une ou de fort peu de personnes » suivi

également d'une longue liste stylistique " Dessein secret, affaire secrete, resolution secrete, il sollicite contre

luy, c'est sa partie secrete, ses plus secretes pensées, negociation secrete, traité secret... sciences secrètes,

motifs secrets, ressorts secrets, chemin secret, porte secrete » in Dictionnaire de l'Académie française 1st édition

1694 p. 452. Une définition qui n'évoluera pas jusqu'en 1798 Dictionnaire de l'Académie française, 5th édition

1798 p. 551.

11Tel que le secret bancaire, le secret médical, le secret professionnel, le secret d'Etat, le secret de l'instruction...

12Il est de fait que la compréhension du secret passe par une étude des mots censés le définir, on peut

s'apercevoir que le secret à quelques exceptions près, possède un champ sémantique très paradoxal et ambigu, à

la fois sombre et mystérieux, il se situe aux confins du connu et l'inconnu avançant à la fois masqué et à

découvert... tout en lui est fuyant. Tel que sciences secrètes (pour les pratiques occultes, l'astrologie, la

nécromancie...), comité secret, maladie secrète, secret de fabrication, secret des affaires...

soustraire de la curiosité de ceux qui en soupçonnent l'existence. Dans l'imagerie populaire le

simple fait de garder un secret est opposé à la vérité et donc assimilé au mensonge.

8. Il semblerait que l'on ne puisse atteindre le secret que métaphoriquement. Il n'est pas rare

pour décrire une notion ambiguë ou paradoxale de faire appel à la métaphore de Janus13, cette

figure mythologique dont chaque visage, pourrait être une représentation de la mise en abîme

du secret. Le secret tel Janus, est composé de deux visages, auxquels pour être complet il faudrait ajouter deux masques. Le visage bienveillant du secret est celui qui est confié volontairement, et dont on peut dire en soulevant le masque qu'il est conforme à la vérité. Le visage malveillant du secret est celui, et dont on peut dire en soulevant le masque qu'il n'est pas

conforme à la réalité. Dans cette optique, dévoiler son secret est une marque de confiance à la

condition toutefois que l'acte émane du détenteur du secret et ce de manière volontaire. À

l'inverse, cela suscitera de la méfiance envers celui qui traquera le secret à seule fin de le percer à jour, une telle intrusion justifiant qu'il soit mystifié par le maître du secret.

9. Le secret transcende la somme des individualités qui compose notre société. C'est une

science avec son domaine de recherche : la cryptologie14, et son théoricien, Georg Simmel15 pour qui " Toutes les relations entre les hommes reposent sur le fait qu'ils savent des choses

les uns sur les autres », une théorie faisant du secret le contrepoint de l'interdépendance et de

la confiance nécessaire dans tout groupe humain. Pour lui il ne peut y avoir de société sans

secret, il est présent en puissance derrière tout ce qui nous unit : " la croyance, le politique, et

la production ». Mais en tant que savoir ou connaissance, c'est aussi un signe de pouvoir. Il

devient un enjeu dès que sa transmission-révélation intéresse et favorise l'élaboration de

stratégies d'un groupe de personnes.

13Janus est considéré comme le père des dieux au cours de l'antiquité romaine car rattaché à tous les

commencements et au passage faisant la transition entre deux lieux ou deux époques. Il est couramment figuré

sur les pièces de monnaies romaines sous l'aspect d'un homme barbu dont la tête porte deux visages opposés

regardant l'un vers l'avant et l'autre vers l'arrière.

14Principalement développée par de grands mathématiciens, pour les gouvernements et utilisée dans

l'espionnage, elle à pour principal objet de préserver et de découvrir les secrets d'états, mais aussi les secrets

industriels. Basée sur le chiffre, cette science permet notamment de transformer un message de manière à le

rendre incompréhensible pour autrui tout en perçant à jour ceux détenus par les forces ennemies ou des

concurrentes. Concrètement, la cryptologie est une technique consistant à crypter un message afin de le rendre

inintelligible à celui qui ne possède pas la clé de décodage. Le premier système de cryptologie est appelé

l'alphabet de Jules César, il consiste à remplacer chaque lettre du message par celle située trois position plus

loin. Mais l'apogée de cette science sera atteinte avec la découverte d' " Enigma », machine ressemblant à une

machine à écrire et pouvant réaliser plus d'un million de combinaisons chiffrées, qui est réputé avoir assurée

l'hégémonie allemande durant la deuxième guerre mondiale. Pour une étude complète, voir J. STERN " La

science du secret » édition Odile Jacob, 1997.

15G. Simmel, " Soziologie », éd. 1908, v. Chapitre V 'le secret'.

10. " Celui à qui vous dites vos secrets devient maître de votre liberté »16. Sous un angle

mystique, le secret tient lieu de ciment entre différentes personnes regroupées autour d'un

centre d'intérêt unique ne pouvant être dévoilé à des personnes extérieures au groupe17. Les

mouvements sectaires18 se développent autour d'un secret composé d'idées et de rituels devant rester inaccessible et incompréhensible à toute autre personne non initiée19.

Cette forme de secret présente la particularité de servir d'identifiant, qu'il s'agisse

d'appartenance à un clan, d'autorisation de pénétrer dans un lieu, ou d'acquérir des connaissances. Dans ce cadre détenir un secret nous permet d'accéder à un autre secret plus

important et donc, mieux protégé20. Cette forme de secret 'à tiroir' est d'usage courant, et

principalement destiné à démontrer à son interlocuteur que l'on est un initié, et donc apte à

recevoir des informations qui n'auraient pas été dévoilées autrement. Le secret est une clé

nous permettant d'accéder à un autre secret, qui tel un sanctuaire reste très difficile d'accès

pour le profane.

16 La Rochefoucault, " Mémoires ».

17Notamment le gnosticisme dont l'enseignement était secret, et principalement fondé sur des textes comportant

la relation d'une doctrine ésotérique, communiquée aux apôtres par le Christ ressuscité et concernant le sens

secret de la vie ; ces livres sont qualifiés d'apocryphes, l'une des principales sources d'information les

concernant, nous est dispensé par Irénée de Lyon (II ème siècle après JC) à seule fin de démontrer qu'il ne

pouvait y avoir aucun rapport entre la gnose et le christianisme. Lire sur le sujet Y.de SILKE " Histoire de la

divination » éd. Larousse 2001 p.147.

18Tels que les Assassins au Moyen Orient, les Chauffeurs en France, les Gardunas en Espagne...

19La création de la première secte est attribuée à Pythagore (569- 475av J.C) qui fonda la " fraternité

pythagoricienne » qui comptait entre 600 et 218 élèves et dura 150 ans. L' un de ses élèves fut Hippocrate de

Kos, considéré comme 'le père fondateur' du secret médical (470- 410 av J.C) ; essentiellement fondé sur les

mathématiques, l'enseignement était dispensé à chaque disciple ayant fait don de toutes ses possessions à un

fond commun ( qu'il récupérait à la sortie), et à la condition qu'il ait réussi le test du secret durant lequel

Pythagore lui-même vérifiait si l'élève était capable de " tenir sa langue » ; ils étaient ensuite répartis en 2

groupes dans une salle séparée d'un rideau, les ésotériques placés du côté du maître pour le restant de leur vie, et

les exotériques placés de l'autre côté, hors de porté de vue .Les textes eux-mêmes étaient soumis au secret, car

rédigé dans un langage à double sens, et seulement accessibles aux initiés, ils parlent de sumbola (symboles) et

d'ainigmata (énigmes). Les connaissances se transmettaient à l'oral et de manière séparée, les acousmaticiens

avaient les résultats mais pas les démonstrations, et les mathématiciens avaient les résultats et les

démonstrations. Cette vision mystique des nombres fondée sur le secret causera la perte de la fraternité dont la

rétention du savoir n'était pas acceptée par les esprits brillants du moment qui malheureusement étaient souvent

recalés au test du secret ; c'est ainsi que Cylon refusé de l'école pour ne pas " savoir tenir sa langue », ne

manqua pas lors d'une révolte, d'attiser la vindicte du peuple de Crotone contre le sanctuaire secret, l'issue en

fut la destruction de l'école de la fraternité pythagoricienne., et la fuite de tous ses membres ; voir M.Ghyca.

" Philosophie et mystique du nombre », éd. Payot, Paris 1992 ; voir aussi la Revue Tangente, Hors Série

n°30 " Histoire des mathématiques de l'antiquité à l'an Mil », éd. Pôle Paris 2007.

20Mais encore plus proche de nous, c'est parce que nous détenons la combinaison d'un digicode que nous

pouvons accéder à notre appartement, ou le code d'accès de notre banque que nous pourrons avoir accès à notre

compte bancaire également protégé d'un code d'accès différent. En ce sens, le secret est surtout une marque de puissance21. Il est ce qui nous différencie des

autres, tout en nous apparentant à un groupe. Ce secret très apprécié en politique, nous permet

d'accéder à une parcelle (même insignifiante) du pouvoir. C'est l'information elle-même qui

est secrète, et qui donne une valeur ajoutée à la personne qui en a connaissance, elle sait ce

que d'autres ignorent et seuls ceux qui partagent ce savoir méritent une attention particulière :

Ils sont les maîtres du jeu.

11. Savoir dissimuler ses secrets est l'art du prince22, et pouvoir le revendiquer est l'art du

roi23, tel Louis XI dont la devise était " Qui ne sait dissimuler, ne sait régner ». Le secret

marque la frontière entre les détenteurs24 et les ignorants25, ces derniers, exclus de toutes

stratégies politiques ne pourront prétendre à la moindre parcelle de pouvoir, à défaut d'être les

manipulateurs, ils resteront manipulés26. Cette culture du secret 'stratégique'27est signe de

21 Dès l'Égypte antique, le pouvoir des religieux qui assistent le souverain dans sa prise de décision politique,

prend un essor considérable et, s'ils obtiennent une place prédominante du fait de leur position sociale, c'est

surtout par leur aptitude à garder un secret qu'ils s'y maintiennent " Le secret des paroles magiques était bien

entendu l'apanage du roi et de quelques initiés. Il en était de même des rituels secrets. Quand au culte divin

journalier, seul le roi ou le grand prêtre qui le représentait avait accès dans le sanctuaire à la personne du

dieu... Quand aux pratiques funéraires et à la momification, on sait qu'elles ont été enseignées à un nombre

restreint de privilégiés, par les détenteurs divins de leurs secrets... » B. MENU, le secret dans l'Egypte

pharaonique, in " secret et justice » op. cité p. 27 ;

22 " Mais il faut savoir se bien caché et entendre l'art de dissimuler : car les hommes seront toujours assez

simples et assez pressés par les besoins présents pour que celui qui veut tromper trouve toujours des dupes. » N.

Machiavel, " Le prince », Chap. 18 ; éd. librio p. 83.

23 Louis XI est un des premiers monarques à ériger le sens du secret au service de la politique, en créant " son

conseil privé, constitué des intimes à qui le roi avait accordé sa confiance, discutait avec lui de la politique du

royaume et partageait le secret de ses décisions. », de même qu'il cultivait avec passion l'art de

l'espionnage " de curieux personnages arrivaient à Orléans où ils avaient de longs entretiens avec le roi avant de

disparaître... d'autres hommes encore entretenaient des relations secrètes avec le roi de France et surveillaient

attentivement les premiers signes de troubles qui se manifestaient en Normandie... Le roi était au courant des

moindres faits et gestes de son frère... » P. M. Kendall " Louis XI » éd. Le livre de poche 1978 p.269 ;

24 " ... dans cet univers du soupçon, dans ce monde très machiavélique, secret et cupide, ou Dieu et le hasard

brouillent constamment les cartes et où les évènements nous échappent, il importe d'être bien armé... La

politique est un métier qui requiert subtilité et expérience », Commynes " Mémoires sur Louis XI » préface de J.

Dufournet, éd. Folio 1978.

25 Pour une analyse du secret politique dans la littérature shakespearienne, et notamment concernant Hamlet " ils

épient ses conversations, ils l'interrogent, interceptent ses lettres...car la politique ici, pèse sur chaque sentiment

et il n'existe pas d'échappatoire...Le cri dramatique de Hamlet : " Ophélie, va au couvent ! » ne s'adresse pas

seulement à Ophélie, il est destiné à tous ceux qui épient les amants. » J. Kott, " Shakespeare notre

contemporain » éd. Marabout université 1965, p.76.

26 C'est ce que prône la théorie développée par Platon pour qui l'accès à certaines vérités publiques devaient être

limitées à l'élite des citoyens les plus exceptionnels, et donc soit " ensevelies dans le silence » soit " se faire en

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